Majorque et la France : Une histoire commune racontée par Román Piña Homs.

Vous êtes de plus en plus nombreux à nous suivre et réagir à nos articles et nous vous en remercions sincèrement. Si notre priorité reste de vous informer au plus près sur la vie à Majorque, pour les touristes ou les résidents, les belles rencontres que nous y faisons régulièrement nous ont donné une nouvelle idée !
Les apéro Piafs et les déjeuners de notre consul honoraire, Michel Magnier sont toujours une agréable occasion de nous retrouver entre compatriotes mais aussi d’accueillir des Majorquins qui enrichissent notre connaissance de l’île et l’amour que nous lui portons.
Une rencontre captivante lors du déjeuner mensuel du consul honoraire
Majorque est belle évidemment, mais elle a aussi une Histoire passionnante et souvent liée à celle de la France. Notre rencontre avec un des invités d’honneur de Michel Magnier a créée l’étincelle.
En effet, Roman Piña Homs un éminent intellectuel Majorquin, est un homme délicieux. C’est bien cela, délicieux. : Érudit, humble, volubile et amoureux de sa terre.
Nous l’avions rencontré il y a quelques mois lorsqu’il était venu présenter son dernier ouvrage « Ser de los nuestros », un essai sur la psychologie collective du peuple Baléare à partir de 16 évènements historiques qui selon lui, configurent la façon d’être des habitants des Baléares.
Un parcours académique des plus complets
Román Piña Homs né à Palma en 1937, est un juriste et un historien. Docteur en droit de l’Université de Barcelone, il a été professeur d’histoire du droit à l’Université des îles Baléares. Ancien directeur du département de droit public de la UIB, il en est professeur émérite depuis 2007.
Il a été président de l’Université internationale de la Méditerranée à Ibiza. Il est membre de la Real Academia Española de Historia et de bien d’autres académies comme l’académie majorquine d’études généalogiques, historiques et héraldiques.
En 1989, il a reçu la Croix d’Alphonse X le sage. Il a également collaboré à l’Encyclopédie de Majorque, sur des sujets liés aux institutions juridiques. Il est actuellement chroniqueur des quotidiens el Mundo et El Día ainsi qu’à la radio COPE. En 2004, il reçoit le Prix Ramon Llull.
Sa production littéraire est très vaste, près d’une vingtaine de livres, parmi lesquels il existe d’innombrables articles publiés dans des magazines spécialisés tels que la « Revista de Històric Català » ou le « Bolletí de la Societat Arqueològica Lullina ».
L’histoire entremêlée de Majorque et la France
Ce CV impressionnant pourrait en faire un homme distant et orgueilleux, mais sa soif de partager et son esprit éclairé et curieux lui ont permis de rester un homme accessible et désireux de partager ses connaissances historiques.
Et c’est sans hésiter qu’il a accepté notre proposition, nous écrire une chronique mensuelle sur cette histoire commune, entrelacement de nos deux cultures.
Nous le rencontrons en mars 2018 pour lui poser quelques questions, le connaitre un peu mieux et surtout vous persuader de la chance que nous aurons de lire sa rubrique historique prochainement sur notre page de la Piaf Majorque.
1-Comment vous définissez-vous ? Quel est le principal trait de votre personnalité ?
Je pense que je suis sensible. J’aime me sentir humain. Pour moi, les caractères fondamentaux de l’humanité sont la sensibilité et la pensée. J’essaie d’être le plus humain possible.
2-D’où vous vient cet intérêt particulier pour l’histoire des Baléares ?
Je crois que mon intérêt particulier pour l’histoire remonte à mon enfance. J’ai eu la chance de vivre dans une famille attachante et respectueuse, où l’histoire familiale a toujours eu une grande importance.
Mes parents me racontaient beaucoup d’anecdotes sur leurs parents et grands-parents et j’écoutais avec énormément d’attention et d’émotion ces récits si riches et passionnants. Je crois que l’on se consacre à ce que l’on aime et j’ai aimé l’histoire de ma famille et de là, l’histoire de ma patrie.
Il est difficile d’aimer sa patrie si avant on n’a pas aimé sa famille. Mon père qui était médecin m’a offert très tôt des livres d’histoire, je me rappelle à dix ans, des histoires sur les Romains, les Carthaginois, des histoires qui racontaient la naissance du peuple hispanique et surtout je me suis attaché aux personnages.
A travers ces récits de batailles, ce sont des êtres humains que je voyais vivre et cela m’a beaucoup impressionné. J’ai commencé à me passionner pour la vie des hommes, de Ramon Llull à Benjamin Franklin en passant par Beethoven, j’aime les biographies.
3- Quelle est votre occupation favorite ?
J’ai 10 petits-enfants et je me souviens que l’une de mes belles-filles m’a dit un jour : « La meilleure chose que tu puisses faire, c’est de passer du temps avec tes petits-enfants car le temps passe vite ». Comme c’est vrai ! ils ont tous plus ou moins le même âge.
Quand on a la chance de pouvoir être avec eux, à cet âge fondamental, entre 5 et 15 ans, il faut en profiter ! Quel dommage pour un grand-père de passer à côté de ce bonheur ! Entre 2005 et 2015, j’ai passé le plus clair de mon temps avec eux et j’ai écrit pour eux mais aussi pour publier comme ce livre qui parle de 3 francs-maçons majorquins peu connus du XVIIIº mais non moins importants pour l’Histoire, « un triangulo masonico ».
Et maintenant que mes petits-enfants ont grandi, l’écriture est mon occupation favorite, c’est toujours un plaisir et j’essaie de solliciter ma mémoire le plus possible, car à mon âge elle peut commencer à faillir !
Écrire un journal également, ce que je fais depuis des années et je le recommande vivement, écrire sur sa propre vie nous aide à comprendre qu’elle est notre raison d’être, le pourquoi de notre vie, et le journal intime éclaire nos pensées.
Coucher sur le papier les anecdotes de notre vie et celles des autres, nous humanise. C’est un de mes professeurs, Don Jose Orlandis, qui m’a fait comprendre l’importance du journal intime.
4-Si vous ne viviez pas à Majorque, où aimeriez-vous vivre ?
À Montpellier ! J’y suis allé il y a quelques années pour un projet concernant les villes et universités ayant appartenu au royaume d’Aragon : Barcelone, Zaragoza, Valencia, Mallorca, Montpellier et Perpignan.
Durant un repas un des convives m’a demandé si je savais quel jour nous étions, il s’agissait du 12 septembre, je crois. « Aujourd’hui nous commémorons la triste défaite de la bataille de Muret en 1213 » m’a-t-il dit. (Durant cette bataille, le comte de Toulouse et son allié Pedro d’Aragon affrontèrent Simon de Montfort représentant du roi de France, Philippe II qui convoitait le Sud de la France).
« Veux-tu que nous demandions aux gens autour de nous s’ils connaissent cette bataille ? » Et bien aucun ne la connaissait ! et finalement cela m’a plu, ces gens qui se fichaient complètement de bataille et de guerre et je me suis senti plutôt à l’aise parmi eux ! Et puis Ramon Llull a été à l’université de Montpellier où il a une statue.
5- Quels sont les principaux atouts de Majorque selon vous ?
La richesse de Majorque est sa géographie, et je fais référence à deux aspects, l’un étant la nature et les paysages et l’autre sa situation géographique au centre de la Méditerranée occidentale. Historiquement, Majorque a été un point stratégique de passage des routes maritimes.
Depuis la France, les marchands passaient par Majorque pour se rendre en Afrique, de même, les Italiens pour aller en Espagne. C’est par conséquent un lieu de rencontres.
Majorque n’a jamais eu une agriculture ou une pêche importantes, pas de métaux ni de minéraux à exploiter, c’est définitivement sa situation géographique son atout principal et cela l’est toujours, plus pour les marchands mais pour les touristes !
6-En littérature, quel auteur majorquin nous recommandez-vous ?
J’aime beaucoup un auteur de la fin du XIXº siècle, frère du politicien Antonio Maura i Montaner, Gabriel Maura i Montaner qui, avec une prose simple et pleine d’humour, parle très bien de la vie quotidienne à Majorque.
7-Quel est votre héros/héroine majorquin/e préféré/e ?
Christophe Colomb ! Je me rappelle avoir été invité à la Dominican University de Chicago pour parler des origines incertaines de Christophe Colomb. J’ai dit une phrase qui a plu « S’il n’avait pas été Majorquin, il aurait mérité de l’être ». C’est lui qui a cultivé ce manque d’informations sur ses origines.
Lorsque son fils Diego est allé à Gênes à la recherche de parents, il n’a rien pu trouver. La théorie gênoise ne tient pas debout et c’est Mussolini qui décrète que Christophe Colomb est italien ! Je pense que l’on ne saura jamais d’où il vient car il y a beaucoup de théories, dernièrement est apparu un document qui le fait naitre à Palma, Tófol Colon.
8- Un souvenir d’enfance à Majorque ?
Dans les jardins qui se trouvent près de la muraille, non loin de la cathédrale, je me souviens que nous étions une petite bande de garçons qui avec 3 fois rien, étions les plus heureux du monde. Un pistolet en bois, une balançoire ou des poissons à observer faisaient notre monde et le temps s’arrêtait.
9-Que gardez-vous de vos années de professeur à l’Université ?
Une grande richesse. 45 ans d’enseignement depuis 1972. Je disais à mes étudiants « nous allons être amis, communiquer et partager pendant 9 mois. Nous allons essayer de nous enrichir mutuellement ! » Et la plus grande joie c’est ce contact humain professeur/étudiant.
Il y quelques heures je discutais d’un thème juridique technique avec un ancien élève qui m’a dit : « j’ai eu un professeur qui nous disait toujours : En terminant vos études, vous n’aurez pas beaucoup plus de connaissances, mais vous saurez où les trouver ! et ce professeur c’était vous ! ».
Et c’est vrai, j’avais l’habitude de dire ce genre de choses à mes élèves ! Être capable d’analyser un texte juridique ou historique, de réfléchir et d’en tirer une connaissance a toujours été plus important pour moi que de réciter une leçon.
Je me rappelle de ma dernière classe en 2009, à l’UIB où d’anciens étudiants sont également venus et je dois dire, sans être orgueilleux, que je tire une certaine fierté de toutes ces années qui furent gratifiantes ; j’avais nommé cette dernière classe : Apprenons à penser.
J’aime particulièrement toutes ces petites phrases historiques qui, pour certaines inventées probablement, nous permettent de réfléchir Comme celle du Meunier de Potsdam qui répond au roi Frédéric II de Prusse qui veut l’expulser de ses terres : « oui, si nous n’avions pas de juges à Berlin », ce qui signifie que la Justice est pour tous, roi ou meunier. La justice est née pour servir le pouvoir mais heureusement pour s’y opposer aussi.
10-Quel a été votre rôle dans la création de la IUB ?
Cette année, ce sont les 40 ans de la IUB, mais l’histoire a commencé en 1972 avec la création d’une association appelée « Patronato de estudios universitarios » formée par la mairie de Palma, la chambre des députés, la chambre de commerce. Le but était de créer une université des Baléares (il y avait déjà des classes universitaires à Palma de philosophie et de lettres mais dépendantes de l’université de Barcelone ou l’université autonome de Catalogne).
J’ai été nommé secrétaire général de cette association qui a dû faire face à une certaine opposition. D’abord la jalousie de l’université de Barcelone qui aurait préféré garder l’égémonie et surtout de certains milieux de la société qui voyaient d’un mauvais œil la possibilité de créer un nid de contestataires face au régime franquiste.
Nous avons obtenu d’abord la faculté des Sciences puis celle de Droit. Durant ces premières années entre 1972 et 1978, j’ai été professeur adjoint, et Don Pep Trias, qui devait donner les classes magistrales, m’a demandé de le faire et j’ai fait comme les autres, juges et avocats de Majorque, nous nous sommes jetés à l’eau !
Les classes se donnaient majoritairement en castillan, quelques-unes en catalan, mais cela n’a jamais posé de problème. A ce sujet, j’ai une anecdote amusante : Dans les années 80, le recteur de la IUB, Nadal Batle, faisait un discours. « Au XVIIIº siècle, Majorque passa aux mains des Bourbons, monarques centralistes, qui imposèrent le Castillan et dans notre université (en parlant de Barcelone), on cessa de parler Catalan ».
C’est bien triste qu’un recteur d’université puisse dire cela, parce qu’en fait, jusqu’au XIXº siècle, la seule langue que l’on parlait à l’université, où qu’elle soit, était le latin ! D’où le nom « université » ! Ainsi Ramon Llull a pu aller à la Sorbonne et les philosophes, médecins et autres intellectuels à travers les siècles ont pu voyager et étudier dans différente universités européennes. L’universalité de l’université est fondamentale, quel dommage de l’oublier !
11-Quel sera le sujet de votre premier article pour la Piaf ?
Jaume II, Jacques II en français, roi de Majorque, Comte de Roussillon et Sardaigne, Seigneur de Montpellier où il est né en 1243, éduqué à Paris et Contemporain de Ramon Llull. Son père, Jaume I avait signé un traité avec Saint Louis, le traité de Corbeil en 1258, où chacun renonce à ses prétentions sur des territoires. Mais nous parlerons de tout ça la prochaine fois !
Crédits : gacetanautica.es, letudiant.fr, elmundo.es, wikimedia.org,
Arrivée à Palma en 1986 pour un court séjour, j’ai rapidement réalisé que j’avais enfin trouvé l’endroit idéal. Omniprésence de la mer, douceur de vivre et une petite librairie franco-anglaise, Book-Inn, où durant dix ans j’ai pu partager ma passion pour la lecture avec les nombreux majorquins férus de culture française. Titulaire d’un diplôme d’état de psychomotricienne, j’ai collaboré en tant que bénévole avec le centre ASPACE, parcouru l’île pendant 3 ans pour une agence de location saisonnière, donné des cours de français à l’Instituto Lluliano.
Comme André Brink, je pense qu’il n’existe que deux espèces de folie contre lesquelles on doit se protéger. L’une est la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire et l’autre est celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire.