Histoire des possessiones de Majorque

Un voyage culturel au coeur de la vie des majorquins, guidé par Diego Zaforteza, fondateur d’Itinerem et héritier de cette culture ancestrale.
Majorque, destination de plus en plus prisée par les francophones, ne se résume pas à ses plages paradisiaques, sa gastronomie haut de gamme ou ses hôtels de luxe, elle a beaucoup plus à offrir !
Le patrimoine historique et culturel de Majorque est d’une richesse incontestable et les possessiones en sont le clair reflet comme une manière de concevoir l’île et de structurer la société locale.
Impossible de comprendre la perception du temps et de la vie qui forgent le caractère des majorquins sans connaître l’Histoire et l’importance des possessiones. En lisant cet article vous trouverez les clefs qui vous ouvriront le coeur des majorquins. Il faut connaître le passé pour comprendre le présent.

Du Moyen Age à nos jours, les possessiones ont défini Majorque
Les possessiones majorquines sont de grands domaines dédiés originellement aux activités du secteur primaire : agriculture, élevage, apiculture, chasse ou exploitation forestière.
Pendant plus de 5 siècles, elles ont soutenu une grande partie des Majorquins et ont été un pilier fondamental de l’économie de l’île.
Leur origine remonte à la Majorque islamique. Là où les terres arables et les points d’eau étaient abondants, les « Alquarias » (dénomination arabe des domaines agricoles) ont commencé à surgir comme Alfabia et Raixa dont les noms confirment l’origine arabe.

Après la conquête de l’île en 1229 par Jaume I, roi d’Aragon, celle-ci fut divisée entre les nobles chevaliers qui participèrent à cette conquête. Chacun gouvernait alors ses terres selon les usages du féodalisme de l’époque.
Les « Senyors », descendants des chevaliers formèrent la noblesse majorquine et furent les premiers propriétaires des terres. Dès le XIVº siècle les besoins économiques de certains nobles ont facilité l’accès des familles de la bourgeoisie et la paysannerie riche aux possessiones.
En 1785, en pleine époque de splendeur des possessiones, le Cardinal Despuig créa une carte de Majorque où les plus de 1250 possessiones de Majorque ont été recensées. Cette carte, véritable œuvre d’art, est probablement le document le plus reproduit sur l’île et la majorité des majorquins en possèdent un exemplaire encadré trônant dans le salon de leur maison.

Splendeur et décadence du système seigneurial
9 familles se sont répartis historiquement l’ensemble des possessiones de Majorque durant des siècles grâce à un système bien établi, le « mayorazgo », (l’ainé de la fratrie était l’unique héritier de tous les biens) et les mariages entre ces 9 familles permettant de consolider et conserver le patrimoine entre gens de même classe.
En 1837,l’abolition de « la ley de los señorios » , vient briser cette structure. La révolution libérale espagnole initiée en 1808 considérait les seigneuries comme l’un des symboles du « régime féodal » à supprimer.
Toutes les grandes maisons européennes de la Méditerranée occidentale ont vécu cette même décadence au XIXº, combinée avec la révolution industrielle et la mécanisation des tâches. Le magnifique film de Visconti, « Le Guépard » décrit parfaitement la chute de ces grandes familles.
De nos jours, les « botifarra », descendants de la noblesse majorquine, se distinguent toujours du reste de la population majorquine et comme les « xuetes » descendants des juifs convertis, ils ont continué à pratiquer l’endogamie jusqu’au XXº !

Le fonctionnement des possessiones, un système singulier de production et d’interaction sociale
La possessio pourrait être définie comme une mini-société où chaque individu, selon son rang social, avait un rôle indispensable à jouer.
L’architecture même d’une possessio reflète la structure sociale de l’époque. Les propriétaires, les « Senyores » occupaient les habitations principales des maisons tout en gardant leur résidence principale à « Ciutat » (Palma), tandis que les ouvriers agricoles vivaient aux alentours dans des habitations plus modestes.
La disposition des différents bâtiments, la maison seigneuriale, les logements des travailleurs, les installations de productions, les terres agricoles, était très fonctionnelle et avait un caractère défensif, car il ne faut pas oublier que les attaques des pirates étaient une triste constante à Majorque entre le XIV et le XIXº siècles.

L’homme de confiance du propriétaire, « amo » ou « amitger » gérait la possessio. Il organisait et supervisait le travail de tout le personnel en veillant à leur rentabilité économique.
L’accord financier entre les 2 hommes variait, souvent l’amo louait la possessio et reversait une grande partie des bénéfices au senyor mais d’autres systèmes existaient comme le bail par exemple.
La « madona » était l’épouse de l’amo, son rôle était primordial pour le bon fonctionnement quotidien puisqu’elle était à la tête de tout ce qui concernait l’ordre domestique et l’alimentation, tant des senyores que tout le personnel.

Les « pagesos », les paysans, se divisaient en 2 catégories, les « jornalers » embauchés pour des emplois spécifiques à certaines époques de l’année comme les faucheurs, les ramasseurs d’olive ou les charbonniers et les « missatges » qui travaillaient à la ferme toute l’année.
Chaque possessio avait sa propre manière de vivre et de s’organiser même si 3 principes leur étaient communs : L’autosuffisance, le Profit des heures de soleil pour travailler et vivre avec austérité.
Les possessiones de nos jours
A partir des années 50, Majorque connaît un grand changement socio-économique. Le système agricole et industriel représenté dans les possessiones perd de sa puissance en faveur du tourisme. Le secteur agricole entre dans son déclin définitif dès 1975, date du 2º boum touristique à Majorque, au profit du secteur des services.
Actuellement quelques possessiones comme la Granja de Esporles, Els Calderers ou Alfabia sont ouvertes au public. Elles sont le témoignage anthropologique du passé de Majorque. D’autres comme Son Moragues ont été rachetées par de riches mécènes soucieux de participer au renouveau écologique de l’île.
Bon nombre appartiennent encore aux héritiers des senyores qui essaient de les maintenir, tâche coûteuse en termes économiques et de dévouement.
Certaines sont malheureusement abandonnées et ne cessent de se dégrader, espérant retrouver leur place dans un avenir incertain.
Le rôle d’itinerem dans la sauvegarde des possessiones
Itinerem est une initiative dont l’objectif est la création d’un Itinéraire Culturel du Conseil de l’Europe autour des maisons rurales historiques de la Méditerranée.
Mené par Diego Zaforteza, Itinerem favorise la participation citoyenne, les campagnes d’information pour promouvoir auprès des majorquins l’idée que leurs biens sont un de leurs principaux patrimoines matériel et immatériel et le tourisme culturel (visites de possessiones, ateliers sur les travaux des champs, activités liées à la culture traditionnelle et la gastronomie, etc.)

Un dimanche par mois, Diego Zaforteza organise la visite guidée par un historien d’une possessió. Une expérience inoubliable au cœur du passé de Majorque.

Et si vous voulez pousser l’expérience encore plus loin, pourquoi ne pas séjourner dans une possessio pendant vos vacances ? Itinerem a sélectionné pour vous les plus emblématiques où vous pourrez prolonger cet extraordinaire voyage dans le temps.
Crédit : Itinerem
Arrivée à Palma en 1986 pour un court séjour, j’ai rapidement réalisé que j’avais enfin trouvé l’endroit idéal. Omniprésence de la mer, douceur de vivre et une petite librairie franco-anglaise, Book-Inn, où durant dix ans j’ai pu partager ma passion pour la lecture avec les nombreux majorquins férus de culture française. Titulaire d’un diplôme d’état de psychomotricienne, j’ai collaboré en tant que bénévole avec le centre ASPACE, parcouru l’île pendant 3 ans pour une agence de location saisonnière, donné des cours de français à l’Instituto Lluliano.
Comme André Brink, je pense qu’il n’existe que deux espèces de folie contre lesquelles on doit se protéger. L’une est la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire et l’autre est celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire.