Les majorquins qui font Majorque : Torrelló
Connus ou pas par le grand public, ils sont artistes, entrepreneurs, politiciens ou issus d’autres milieux. Ils incarnent, chacun à leur manière une façon d’être majorquin.

Grâce à leurs projets, leurs engagements, leurs idées ou leurs professions, ils font briller Majorque en Espagne ou à l’internationale.
Piafmajorque vous emmène à leur rencontre à travers une série de questions/réponses et de portraits que nous vous proposons chaque mois.
L’oeil qui voit
Commençons avec le photographe, Joan Llompart, plus connu sur l’île comme Torrelló, que nous avons rencontré à l’occasion de la sortie de son dernier recueil de photographies “ 50 anys de Celebrities a Mallorca”.
“Torrelló n’est pas l’œil qui regarde, c’est l’œil qui voit. Son langage photographique offre plus de chapitres qu’un roman. Il a créé des souvenirs inoubliables. Une image de lui vaut mille images “
Matías Vallès
C’est ainsi que le journaliste du Diario de Mallorca, Matias Vallès définit Torrelló, son collègue au sein du journal où Joan a exercé comme photographe de presse de 1963 à 2003.

On pourrait croire que cet homme qui a passé 40 ans, jour et nuit, du lundi au dimanche à sillonner tous les recoins de l’île pour photographier les actualités locales, les faits divers, les rencontres sportives, les célébrités et tous les évènements dignes d’un article, aurait mal vécu cette retraite.
Au contraire, il en apprécie chaque jour même s’il a (presque) lâché son appareil photo.
Torrelló est un vrai majorquin, il en a la modestie, la sagesse, la rigueur et l’amour discret pour son île. Talentueux et espiègle, deux choses sont inimitables chez lui, son sens de l’humour et sa moustache !

Comment te présenterais-tu à notre public francophone ?
Et bien, comme un pur hasard ! Beaucoup de choses dans ma vie ont été un concours de circonstance. J’ai commencé à travailler à 10 ans en 1949, je viens d’un quartier populaire de Palma, la Soledad, et je n’ai pas eu le choix. À cet âge-là je n’aurais jamais imaginé la vie que j’ai eu par la suite.
Comment es-tu devenu le photographe de presse le plus connu de Majorque ?
J’ai eu un jour le choix entre rentrer comme “botones” garçon de course à l’horlogerie Alemany ou chez le photographe Planas et j’ai pensé que c’était plus original de faire une photo que de réparer une montre ! J’avais 13 ans. Mon patron me laissait un appareil photo le samedi et je m’amusais à photographier les gens de mon quartier. Un clic, une photo, une habitude que j’ai longtemps gardée avec l’argentique.
Ensuite j’ai eu la chance d’être le premier photographe avec une fiche de paie au Diario de Mallorca, j’avais 24 ans et je n’en suis jamais parti.

Comment te définirais-tu en tant que professionnel ?
J’ai toujours pris une photo en pensant d’abord aux lecteurs du journal. Si le thème n’était pas dramatique, je cherchais la photo drôle, inattendue, unique. Je n’ai jamais ressenti d’intérêt pour les photos de couchers de soleil ou de paella familiale du dimanche !
C’est peut-être pour cela que mes photos ont plu, elles racontent une histoire sans mot. Et puis j’étais toujours disponible, quelque soit le sujet à traiter et il m’est arrivé de photographier des scènes difficiles et éprouvantes.
Quel est l’événement qui t’a le plus marqué ?
Sur le moment, aucun. Je partais et faisais la photo qu’on attendait de moi. C’était juste mon travail : j’ai photographié Gorbatchev avec l’ancien président du Govern Balear Francesc Antich, un homme qui s’était jeté sous un train, John Lennon et Yoko Ono en 1971 sortant du palais de justice de Palma, ou un match de foot avec les mêmes professionnalisme et rigueur.

Mais, c’est parfois des années après que l’émotion m’a rattrapée comme pour le terrible accident d’avion à Ibiza en janvier 1972.
Je suis arrivé le premier avec mon compagnon rédacteur sur la scène du crash, à 7h du matin. L’avion s’était écrasé contre la montagne en atterrissant. Pratiquement que des Ibicencos dans le vol et aucun survivant. Les débris de l’avion et des passagers s’étendaient sur un périmètre de 5 km. J’ai vu l’horreur ce jour-là et nous étions encore à une époque où ce genre de photos se publiaient.
J’ai malgré tout essayé de photographier le “moins pire”. Nous nous sommes rendus ensuite dans l’après-midi dans l’église où les 104 cercueils avaient été placés.
Je me trouvais au niveau de l’autel et au moment de partir pour rejoindre l’aéroport, nous nous rendons compte qu’il nous est totalement impossible de sortir de l’église sans devoir monter sur les cercueils, plus un espace de libre pour marcher !
Le curé nous suggère de sortir en sautant par la petite fenêtre de la sacristie, ce que je fais, mais impossible pour mon compagnon, je suis donc rentré seul à Majorque pour remettre à temps les rouleaux de négatifs. Quant au rédacteur, il a dû dicter sa chronique par téléphone et n’a pu rentrer que le lendemain.
Avec les années cette histoire semble incroyable, mais nous pouvions tout photographier. Je me souviens avoir photographié des voleurs menottés avec leur butin encadrés par des gardes civils tout sourire !
Quelles sont les personnalités qui t’ont le plus marqué?
En vérité, aucune ! je n’ai pas d’idole et j’ai photographié Brigitte Bardot comme j’aurais photographié Margarita Pons (j’invente !) le jour de son mariage. À ce sujet, les photos de Brigitte Bardot ont une petite histoire !

Elle séjournait avec son mari Gunther Sachs à l’hôtel Son Vida et nous (3 ou 4 professionnels) avions convenu avec elle de venir lui faire quelques photos et la laisser tranquille le reste de son séjour. Nous nous présentons à la réception qui la prévient.
Elle descend en ascenseur avec son mari, mais, va savoir pourquoi, quand l’ascenseur s’ouvre et qu’elle nous voit , elle le referme et descend encore. Nous dévalons les escaliers et nous la trouvons en train d’essayer de s’échapper de ce qui était un énorme et obscur débarras où les transats et parasols de la piscine (on était en hiver) étaient rangés.
Nous arrivons malgré tout à faire quelques clichés avec flash où on la voit telle une souris prise au piège… Pas vraiment les photos que nous devions faire !
Et Majorque dans tout ça ?
Quand je travaillais chez Planas, j’ai été son assistant pour les photos de cartes postales de l’île qu’il a fait dans les années 50/60. J’ai tout vu, je suis allé dans tous les recoins photogéniques de l’île avec un tripode qui pesait 60 kg quand moi j’en pesais 30 !!!
Quand je travaillais au Diario, je faisais des centaines de km par mois, un jour à Pollença le lendemain à Santanyi, alors que dire …. Je n’ai plus vraiment envie de m’y balader et puis, le torrent de Pareis sera toujours le même, non ?
J’ai de la nostalgie pour la Majorque de ma jeunesse, calme et paisible. Pour un majorquin et je suis terriblement majorquin, la plage sert à y dîner un soir d’été mais, s’allonger sur le sable pour bronzer, c’est une pure invention des touristes, certainement pas des majorquins!
Et maintenant que fais-tu ? Des projets ?
J’ai toujours des milliers de négatifs à numériser. J’aimerais vraiment refaire un livre avec mes photos de jeunesse de la Soledad, je suis tellement reconnaissant à ce gamin espiègle qui m’a permis de faire des choses incroyables.

Grâce à lui, j’ai tout fait en première ligne : Dormir au Ritz de Madrid, sauter en parachute, voler en hélicoptère, plonger dans un sous-marin, assister à des courses de formules 1, à des concerts, et tellement d’expériences incroyables! Alors je veux encore rendre hommage à tous ces gens de la Soledad, mon quartier, où régnaient la fraternité et la bonne humeur.
Des livres et des expositions depuis 2004

Plusieurs expositions ont été organisées pour présenter l’oeuvre photographique de Torrelló. L’une d’elles a été spécialement reconnue en septembre 2004 grâce à l’inauguration par le protagoniste et son épouse : «Felipe, 30 ans à Majorque».
Une sélection d’images de celui qui était alors héritier de la couronne réalisées pendant ses vacances sur l’île pendant trois décennies, depuis 1974.

Torrelló a également publié 8 livres de photos à ce jour, certains ne sont plus vendus en librairie, mais vous y trouverez le dernier, 50 anys de celebrities a Mallorca, un des best sellers de la saison et celui-ci Palma un altra temps, 60 anys mirant ciutat .
Arrivée à Palma en 1986 pour un court séjour, j’ai rapidement réalisé que j’avais enfin trouvé l’endroit idéal. Omniprésence de la mer, douceur de vivre et une petite librairie franco-anglaise, Book-Inn, où durant dix ans j’ai pu partager ma passion pour la lecture avec les nombreux majorquins férus de culture française. Titulaire d’un diplôme d’état de psychomotricienne, j’ai collaboré en tant que bénévole avec le centre ASPACE, parcouru l’île pendant 3 ans pour une agence de location saisonnière, donné des cours de français à l’Instituto Lluliano.
Comme André Brink, je pense qu’il n’existe que deux espèces de folie contre lesquelles on doit se protéger. L’une est la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire et l’autre est celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire.