Elisa Sebbel, écrivaine française amoureuse de Majorque
Découverte dans le cadre du Mazarine book day 2018 pour lequel elle a reçu le prix spécial du jury, La Prisonnière de la mer est son premier roman, le second est pratiquement terminé et le troisième bien commencé ! Elisa est une boulimique d’écriture !

Elisa, peux-tu te présenter pour les lecteurs de la Piaf ?
Toulousaine, titulaire d’une Maîtrise en Espagnol, je suis arrivée à Majorque en 1997 en tant que lectrice dans un lycée de Sóller. J’envisageais d’y passer une année pour me préparer à un dernier examen, le Capès. Et je suis toujours là !
Quand j’ai découvert Majorque, j’avais 25 ans et une furieuse envie d’être libre ! Et ce sentiment de liberté m’a envahie ici pour la première fois de ma vie !
Je peux dire que je suis née pour la deuxième fois à Majorque !
Ensuite tout s’est enchaîné, d’abord professeur de français à l’Escuela de Turismo de la calle Sol, j’ai eu un poste en 2005 à l’Université des Baléares, ce qui m’a motivée pour faire un doctorat en lettres que j’ai obtenu en 2011.
Tu as publié en 2019 ton premier roman, “La prisonnière de la mer,” qui raconte l’histoire d’Héloïse, vivandière de Napoléon, prisonnière avec des milliers de soldats sur l’île de Cabrera. Quel chemin t’a mené à ce roman ?
Un hasard ! Je suis allée plusieurs fois à Cabrera en voilier et je me suis intéressée rapidement à son aspect historique. Ce fut un choc, j’y allais avec des amis pour me détendre et là, au même endroit, des hommes et des femmes ont vécu un enfer.
Dans le cadre de mon doctorat, je devais écrire des articles et j’ai rédigé : “De l’île paradis à l’île enfer”, un essai sur le symbolisme de l’île dans la littérature française du XIXº siècle. J’ai aussi présenté en 2008 une conférence sur les mémoires des prisonniers français à Cabrera lors des XXVII èmes Journées d’études d’histoire locale organisée par l’Institut d’Etudes Baléares.

En 2009, à l’occasion du bicentenaire, le Parc National de Cabrera a organisé un projet sur le camp de prisonniers, en collaboration avec des historiens français, espagnols, polonais et allemands (puisque les grognards de Napoléon provenaient également des pays conquis par l’empereur).
J’ai commencé à collaborer en me penchant plus particulièrement sur le sort de cette vingtaine de femmes qui partageaient le quotidien de 5000 hommes. Encore un choc de découvrir le calvaire quotidien. En lisant des témoignages personnels, l’histoire prend une autre dimension.
Ce projet donna lieu à un ouvrage et une exposition à la Caixa Forum de Palma, “les oblidats de Cabrera 1809-1814” (les oubliés de Cabrera), qui regroupait mémoires et objets fabriqués sur place par les prisonniers, découverts lors les fouilles archéologiques. Tout cela se trouve actuellement au Museo de Mallorca et aussi au Museo de Cabrera.
Et l’idée du roman alors ?
En fait, c’est partie d’un constat flagrant : tous les témoignages étaient écrits par des hommes, souvent racontés à des copistes des années après ! Aucun témoignage direct d’une femme n’a été retrouvé.
En lisant ce que racontaient ces hommes, j’ai eu envie de donner une voix à toutes ces femmes, héroïnes oubliées d’un quotidien inhumain, parler de leur souffrance et leur détresse.
Et puis, dans les essais historiques, comme celui de Denis Smith, elles sont décrites comme des “femmes de mauvaise vie”, des prostituées. J’ai pourtant retrouvé dans les mémoires d’un soldat le terme de “commerce infâme » organisé par les hommes. Elles étaient simplement vendues, parfois juste pour quelques fèves.
Je refuse cette image d’éternelle Marie-Madeleine de la femme et j’ai eu envie de les réhabiliter. Certaines d’entre elles ont combattu auprès des grognards, elles étaient courageuses et fortes.

Alors le personnage d’Héloïse est apparu puis celui de Marie, toutes deux également inspirées de mes grand-mères.
Comment es-tu passée de l’envie au livre publié ?
Après avoir réuni toute la documentation possible, je me suis lancée en février 2015 en réalisant un cadre historique, mois par mois.
Je suis une dévoreuse de livres et j’ai réalisé que la lecture et l’écriture partent du même mouvement. En écrivant, un film s’est déroulé dans ma tête.
« Écrire me rend vivante (…) pourquoi j’ai déjà l’esprit emporté par mon 3º roman alors que je viens à peine de réécrire le 2º (…) J’ai pourtant vécu de nombreuses années sans connaître ce feu qui emporte sans cesse mon esprit (…) Écrire rend libre et c’est euphorisant. L’écriture, c’est ma drogue à moi du bonheur”.
Post instagram d’Elisa Sebbel
Le 17 octobre 2017, le manuscrit est prêt. Peu sûre de moi, je préfère l’auto publier sous un pseudonyme en n’ayant aucune envie de le faire lire à d’autres !
Il était donc en ligne et une blogueuse m’écrit qu’elle l’a dévoré en 2 jours et adoré les aventures d’Héloïse … J’en ai pleuré toute la journée !!!
D’un livre auto publié aux Éditions Fayard, comment fait-on ??
Ce retour positif d’une inconnue m’a décidé à envoyer mon manuscrit à différentes maisons d’édition et à me rendre au salon du livre de Paris au printemps 2018. Je me suis présentée à 2 concours de speed dating de l’édition et j’ai reçu le prix spécial du jury du Mazarine Book Day !
« La Prisonnière de la mer » a été publié le 31 janvier 2019 après un travail de réécriture avec mon éditrice. Elle sortira en poche le 12 mai 2021 et a l’énorme chance de faire partie des 21 livres sélectionnés pour le Prix du Livre de poche.

Il a aussi été racheté en Espagne et traduit par Roca Editorial. « La Prisionera del mar », publié en février 2020 est encore disponible en librairie.
Quant au 2º tome, à cause des reports provoqués par la covid-19, il faudra patienter jusqu’en 2022.
Es-tu toujours aussi attachée à Majorque ?
Mon attachement à Majorque est infini. Je me sens majorquine, cela fait 23 ans que j’y vis et je crois bien que j’y vivrai jusqu’à mon dernier souffle !
Je continue à la découvrir chaque jour et j’aime particulièrement le Triangle décrit par George Sand : Palma- Valldemossa– Sóller, qui est le triangle que j’ai vécu mes premières années : Je vivais à Palma, travaillais à Sóller et passais beaucoup de week-end à Valldemossa.
Les paysages de la Serra de Tramuntana, surtout l’hiver, m’ont toujours attirée. J’aime Valldemossa sous la pluie, sa coca de patata trempée dans un chocolat chaud et l’excursion qui va jusqu’à Sóller. Ce sont toujours des sensations inoubliables !
En été, c’est la plage de la Victoria au nord avec son bar chill out que je préfère.
Culturellement, que nous recommanderais-tu ?
Encore un triangle de musées : La fondation Joan Miró, La Caixa Forum et Es Baluard. Ces 2 derniers musées ont souvent des expos originales.
Je crois que pour être au plus proche de la culture majorquine, il faut s’éloigner de Palma et plonger dans le patrimoine culturel des villages. À Binissalem par exemple, il y a les activités de la fundació Mallorca Literària à la Casa Museu Villalonga, le petit théâtre. Il faut bouger et explorer !
Quel est ton événement annuel favori à Majorque ?
Sans aucun doute un événement littéraire, les converses literarias à Formentor : En septembre, 3 jours de conférences avec des écrivains dans un hôtel fabuleux !
Un.e majorquin.e qui a marqué Majorque ?
J’aime beaucoup Catalina Homar, la compagne de l’Archiduc Luis Salvador, une femme de caractère, une paysanne majorquine qui a tenu tête à un Archiduc !

Une balade en famille ? Un coucher de soleil ?
Il y a une belle balade entre Santa Maria et Orient ou d’Alaro à Tossals Verd, sinon, nous allons souvent à Son Real, site archéologique et belle plage, tout le monde est heureux !
Et pour le coucher de soleil il faut retourner sur la Côte Ouest, Cala Deià évidemment !
Des produits locaux ?
En gastronomie, j’adore les sels de hierbas de Flor d’Es Trenc, c’est ce que j’offre à mes amis quand je sors de l’île, le vin blanc de Jaume de Puntiró à Santa María, la glace à l’amande Fet a Sóller, les biscuits salés de Nerinas au curry particulièrement…
En artisanat, je suis fan des poteries de Portól !
Quels sont les aspects méconnus de Majorque ?
Pour moi, il faut aller prendre un café, un dimanche matin sur la place d’un petit village de l’intérieur et se laisser bercer par l’ambiance : les plus âgés qui sortent de l’église, les enfants qui courent et rient, le pamboli.
J’aime la Majorque profonde, vraie, avec ses fêtes des vendanges (Binissalem), son Sant Antoni et ses rondalles et démons, ses fêtes de Pâques où l’on bénit les animaux, ce mélange de païen et religieux.
Majorque continue à me fasciner comme au premier jour !
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Arrivée à Palma en 1986 pour un court séjour, j’ai rapidement réalisé que j’avais enfin trouvé l’endroit idéal. Omniprésence de la mer, douceur de vivre et une petite librairie franco-anglaise, Book-Inn, où durant dix ans j’ai pu partager ma passion pour la lecture avec les nombreux majorquins férus de culture française. Titulaire d’un diplôme d’état de psychomotricienne, j’ai collaboré en tant que bénévole avec le centre ASPACE, parcouru l’île pendant 3 ans pour une agence de location saisonnière, donné des cours de français à l’Instituto Lluliano.
Comme André Brink, je pense qu’il n’existe que deux espèces de folie contre lesquelles on doit se protéger. L’une est la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire et l’autre est celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire.