Les majorquins qui font Majorque : Carolina Amigó Segui
Peinture, photographie, sculpture, céramique, bijoux, Carolina Amigó est une artiste majorquine qui aime expérimenter et sortir des sentiers battus. Elle ne veut surtout pas être là où on l’attend; sauf quand elle nous reçoit dans son atelier niché dans sa jolie finca aux alentours de Palma.

Majorque est une île d’érudits, d’entrepreneurs, de paysans, d’artisans, d’artistes. Ce n’est pas seulement un paradis touristique, c’est aussi un lieu de culture et de création. Car Majorque inspire et nourrit l’imaginaire.

Carolina revendique son statut de majorquine depuis de nombreuses générations. Son arrière-arrière-grand-père était le peintre Ricardo Anckermann dont certaines œuvres sont exposées au Circulo Mallorquin, au théâtre principal et à l’hôtel Son Vida. Elle ne le savait pas encore quand l’envie impérieuse de dessiner et de peindre s’est invitée dans sa vie.

Depuis qu’elle a décidé de se consacrer exclusivement à l’art, elle a reçu de nombreuses récompenses dont celle de la Fondation Coll Bardolet en 2005. Elle expose ses collections dans plusieurs galeries à Majorque, Barcelone, Alicante, La Corogne, Luxembourg ou Londres. Et nombreux de ses clients vivent en Suède, en Suisse, en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Ses Peintures aiment autant voyager qu’elle !
Carolina, Comment es-tu devenue l’artiste passionnée d’aujourd’hui ?
Aussi loin que remontent mes souvenirs, je me vois avec un crayon et un carnet. J’ai toujours su que je voulais peindre et à mes 14 ans, j’ai commencé une formation à la “Escuela libre del Mediterráneo”. Elle a été créée par le grand artiste majorquin Xim Torrents Lladó qui a été mon professeur.
J’y suis restée 8 ans, tout en continuant mes études car pour mes parents, il était primordial que j’ai avant tout, une carrière…
L’école fonctionnait comme une académie florentine. On y apprenait toutes les techniques, paysagiste, portraitiste, pastel, aquarelle, fusain, etc. J’ai passé beaucoup de temps à peindre des paysages, nous partions avec d’autres élèves, très tôt le matin pour capter la lumière des aubes majorquines. Quel bonheur de vivre à Majorque !

Mes études “classiques” terminées, je suis partie travailler dans une banque majorquine à Londres où j’ai consacré tout mon temps libre à l’art ! À la fois dans une école où j’ai étudié la sculpture et la céramique mais aussi en allant tôt le matin à Saint James Park pour peindre des aquarelles, inspirée par Turner, le peintre de la lumière.
La vie est surprenante, car c’est un majorquin que j’ai rencontré à Londres ! Et, lors de notre retour sur notre île, j’ai décidé de me consacrer uniquement à ma passion, laissant la Banque derrière moi !
Une phrase ne me quittait pas depuis des années : Chacun est maître de son destin, c’est à nous de créer les causes du bonheur. Il en va de notre responsabilité et de celle de personne d’autre.
Depuis 18 ans, l’art est mon seul mode de vie ! Je travaille régulièrement avec la galerie Dionis Bennassar à Pollença, Ahoy gallery à Palma et Puerto Adriano et d’autres galeries sur la Péninsule. J’ai aussi une collection permanente dans l’espace exclusif des projets Terraza Balear à Calviá, avec qui je fais de multiples collaborations.

Comment définirais-tu ton style ?
Comme pour beaucoup d’artistes, mes œuvres d’aujourd’hui sont très différentes d’il y a 20 ans. J’aime expérimenter et changer de techniques ou de supports. Une seule ligne constante me définit: Le canevas de fragilité et d’instabilité de la vie.
Ces toutes petites choses insignifiantes mais qui, unies les unes aux autres, créent quelque chose de supérieur. Ainsi ma série sur les bancs de poissons: Chaque individu est fragile et insignifiant, mais ensemble ils forment un collectif puissant.

Avec ma série sur les nids, j’ai voulu symboliser nos actions quotidiennes, les petites décisions que nous prenons, qui semblent insignifiantes mais qui, finalement nous construisent comme individus et forment un monde.

Depuis 2 ans, je suis en train de faire des recherches avec une nouvelle technique. Je suis fascinée par le fait que des grains de poussière puissent être à l’origine de l’immensité de l’univers… Le Cosmos et la voie lactée m’obsèdent.
Quelle est l’influence de Majorque sur ton travail ?
Incontournable, immense ! J’ai grandi à la campagne entourée par la nature et la mer. Les 2 m’inspirent beaucoup. Depuis l’enfance, l’eau est mon élément favori. J’ai besoin de son contact stimulant et purifiant. Cela peut sembler un cliché, mais insulaire et majorquine, je le revendique sincèrement !
La nature de Majorque et mes voyages nourrissent mes créations. C’est un voyage à Caceres où les cigognes se posent dans des nids gigantesques qui a inspiré ma série sur les nids. En République Dominicaine, ce sont les mangroves : Ce micro-univers d’entrelacements de racines ressemble à mon chaos intérieur !

Et la France ?
J’adore la culture française, j’ai dû être française dans une autre vie ! En France, c’est la joaillerie qui m’a fascinée. À tel point que je me suis inscrite à l’école de design de Majorque pour étudier et devenir « técnico superior de joyería y diseño”.
(Carolina ne le dit pas, mais elle a obtenu le prix honorifique de l’école en 2019 avec son projet final de bijoux “L’objet d’art portable”).

Ensuite je suis allée à l’école des arts joailliers à Paris créée par Van Cleef & Arpels.
Pour moi, la joaillerie est l’une des expressions artistiques les plus complètes qui existent, car elle englobe de multiples techniques artistiques. Du dessin pour l’esquisse, à la mise en page en passant par la sculpture et la modélisation, la conception 3D, l’étude de la lumière et de la couleur, et même la scénographie, car il faut interagir avec elle.

Inspirée par des marques comme J.A.R Paris et Taffin de James de Givenchy, Carolina rêve de créer sa propre marque de bijoux à Majorque.
Quels sont les figures locales que tu admires le plus ?
Il y en a beaucoup à Majorque, mais je pense particulièrement à 2 femmes car la place de la femme dans la culture majorquine n’a pas toujours été la meilleure, comme souvent d’ailleurs pour les femmes ! Elles ont, toutes deux, cassé les codes de leur époque.
L’une est Catalina Homar, paysanne devenue la compagne de l’archiduc Luis Salvador. Sans aucun doute, une femme en avance sur son temps et son statut social. Sa vie a été passionnante, elle a été amie avec Sissi l’impératrice d’Autriche quand même ! Elle aussi fait une belle promotion à Majorque dans toute l’Europe, à travers ses vins entre autres.
L’autre est Madre Alberta, contemporaine de Catalina Homar. Née en 1837, elle devient enseignante après avoir fait des études. Une exception absolue à l’époque ! Mère de 4 enfants, elle devient religieuse après son veuvage et la mort de 3 d’entre eux. Elle crée une école pour les enseignants et modernise cette institution. Une vraie pionnière !

Quels sont tes coins préférés de Majorque ?
Difficile de choisir, La Serra de Tramuntana, bien sûr mais aussi certaines calas du Sud-Ouest comme Cala del Monjo ou Portals Vells. J’aime aussi Puerto Sóller, Deiá, Sant Elm et Cala Conills.
Chaque année, nous partons en famille faire le tour de l’île en bateau. Un moment de déconnexion totale que nous attendons tous impatiemment. Redécouvrir Majorque à chaque fois depuis la mer est un enchantement, et nous procure un sentiment de liberté et une émotion incomparable. Profiter des plages du Sud et de la côte Est comme Es Trenc, Es Carbo ou Cala Marmóls depuis un voilier est un véritable privilège !
Une excursion ou une randonnée préférée ?
L’ascension du Puig de Sant Salvador. La vue est spectaculaire sur la côte de Felanitx , une partie du Pla de Majorque et par temps clair on peut même voir l’île de Cabrera. La chapelle est également charmante et pour 2 € vous pourrez y écouter un concert, une parenthèse magique.
Ensuite, il faut aller dans le village de pêcheurs de Porto Colom avec une enfilade de petites maisons pittoresques au bord du port, superbe ! Et là, je vous recommande le restaurant “Sa Llontja” , qualité garantie.
D’autres restaurants sur l’île à nous recommander ?
Bien manger est une autre de mes passions et la liste de mes restaurants favoris est très longue !
À Palma, Marina Bay a une très belle vue sur la cathédrale et le port et une excellente cuisine méditerranéenne. Le Tast Club, calle Sant Jaume ou le Colmado Hispania dans le paseo Mallorca. À Puerto Andratx, j’aime beaucoup La Universal et Cala Conills à Sant Elm.

Des Plats favoris qui ne manquent pas à ta table ?
Le tumbet, L’été dans l’assiette ! J’aime beaucoup la cuisine majorquine en général, las sopas mallorquinas, los escaldums et en dessert le gato de almendra. J’ai un faible particulier pour tous les embutidos (charcuterie), car j’ai toujours fait “las matanzas”. C’est un moment convivial, ancré dans la culture majorquine.
Comment aimes-tu exporter l’image de Majorque ?
Quand je pars en voyage et vais voir des amis, j’adore ramener plein de bonnes et belles choses de mon île : une bouteille de vin, un fromage menorquin , une ensaimada, bien évidemment ,mais aussi un paquet de galletas Quely, Las quelitas sont une véritable institution pour les majorquins. Je vous mets au défi de trouver un majorquin qui ne les aime pas !
Au niveau artisanal, je suis admirative de l’artisanat de la vannerie, un travail humble et patient. Un joli panier majorquin plein de gourmandises est toujours un cadeau apprécié. Les céramistes majorquins ont également une excellente réputation et de plus de jeunes artisans s’attachent à moderniser les formes et les matières.
Même si le voyage m’est indispensable, Majorque restera toujours ma plus belle source d’inspiration !