Les majorquins qui font Majorque : Román Piña Homs
Docteur en droit de l’Université de Barcelone, il a été professeur d’histoire du droit à l’UIB, dont il est l’un des fondateurs.Professeur émérite depuis 2007, membre de la Real Academia Española de Historia et de bien d’autres académies comme l’académie majorquine d’études généalogiques, historiques et héraldiques. En 2004, il reçoit le Prix Ramon Llull.

Je l’ai déjà dit dans un précédent article le concernant que je vous invite à relire : Roman Piña Homs, un éminent intellectuel Majorquin, est un homme délicieux. C’est bien cela, délicieux : Érudit, humble, volubile et amoureux de Majorque.
Cet homme né en 1937 à Palma, héritier de familles prestigieuses de Majorque est un véritable puits de sciences et sa connaissance de l’histoire des Baléares est infinie.
Chroniqueur des quotidiens El Mundo et El Día ainsi qu’à la radio COPE, la pandémie l’oblige actuellement à rester dans sa charmante maison d’Esporles où je l’ai retrouvé avec beaucoup de plaisir.
Quelle est l’influence de Majorque dans ta vie professionnelle ?
Je suis docteur en histoire du droit et j’enseignais à la fois l’histoire du droit espagnol et l’histoire du droit majorquin à l’université des Baléares, j’ai également créé un cours facultatif : Les fondements juridiques de l’Europe, car je crois qu’un juriste doit d’abord comprendre à quel point tout est lié et s’influence mutuellement.

À une certaine époque, le droit de la Couronne d’Aragon, cette confédération de différents royaumes (Aragon, Valencia, Baléares et Catalogne) fut une référence constante. L’’impact de Majorque sur des États américains comme la Californie et la Floride, sur des pays comme l’Uruguay ou l’Argentine est loin d’être négligeable. Il faudrait s’y intéresser plus. Une partie de la Méditerranée a traversé l’Atlantique il y a des siècles, ne l’oublions pas !
En résumé, Majorque et son histoire ont été la pierre angulaire de ma vie professionnelle et ma curiosité est loin d’être assouvie !
Quels sont les musées incontournables à Majorque ?
En Amoureux de l’histoire, je recommanderais le Museu de Mallorca à Palma dans le palais des comtes d’Aiamans plus connu sous le nom de Can Desbrull. Le dernier marquis Desbrull l’a vendu à la mairie de Palma en 1969 qui l’a transformé en musée de l’histoire de Mallorca.

On y trouve des peintures, sculptures, restes archéologiques depuis l’époque talayotique soit 2000 ans avJC. L’endroit est également magnifique.
Ensuite le Castell de Bellver sans aucun doute. La mairie de Palma a aménagé les salles pour en faire un musée de la ville. On peut y voir de nombreux restes archéologiques, mais également une collection de statues romaines, pas de la meilleure époque, ayant appartenu à un fameux majorquin, le cardinal Despuig, grand amateur des beaux-arts.
Il profita de son séjour à Rome pour effectuer des fouilles. Les mauvaises langues disent qu’il faisait enterrer des statues la nuit pour les soi-disant découvrir le jour !

Et puis en soi, le Castell de Bellver est un édifice très intéressant de par sa forme arrondie qui selon certains rappelle les talayotes.
Mais il n’en est rien ! C’est Jaume II qui le fait construire et nous ne devons pas oublier que ce roi, né en France, plus précisément à Montpellier, est imprégné de culture française. Dans le sud de la France, il existe bon nombre de châteaux ronds.
Je suppose que les architectes de Jaume II étaient français car c’est le seul château espagnol avec cette forme arrondie !
Cette influence française à la cour majorquine se voit aussi dans l’église palmesane de Santa Eulalia, la plus ancienne de la ville. La première phase de construction qui correspond à l’abside est de style gothique français, un style très présent à Majorque à cette époque. Pour l’anecdote, la cathédrale est de style gothique méditerranéen, un style postérieur.
Quelles sont les figures locales que tu admires le plus ?
Sans aucun doute Ramon Llull en tout premier lieu. Il fut un grand philosophe du Moyen Âge et sa pensée novatrice pour l’époque a bouleversé les esprits. S’il est incontournable à Majorque, il n’a pas, au niveau international, la reconnaissance qu’il mérite.
Ensuite je dirais Jehuda (ou Jafuda) Cresques, qui devint Jaume Riba après sa conversion au catholicisme. C’est un célèbre cartographe, auteur d’un atlas représentant le monde et grâce auquel nous avons pu comprendre beaucoup de choses !
Majorque était un lieu reconnu où les navigateurs faisaient escale avant de partir vers des horizons plus lointains comme l’Atlantique.

Les majorquins, au XIVº siècle avaient déjà doublé le Cap de Gibraltar, remonté vers la Grande-Bretagne et les pays nordiques ou au contraire vers le Sud et les Îles Canaries. Ils sont les premiers européens à avoir essayé de coloniser ces îles au large de l’Afrique.
Et je ne manquerai pas de citer l’illustre Christophe Colomb, Tofol Colon en majorquin !!
Il existe une théorie majorquine des origines inconnues de Colón. On ne peut n’y l’imposer ni la rejeter.
Je suis allé il y a quelques années maintenant exposer cette thèse à la “Dominican university” de Chicago. Je pense que c’est une des plus plausibles : Colón est un nom de famille très courant à Majorque ainsi que les différents noms qu’il donna aux îles découvertes comme San Salvador par exemple.
Ensuite, le fait qu’il rédigeait en catalan, et puis il existe des connexions entre les Santángel (patronyme juif ) de Majorque et Luis de Santángel, trésorier des rois catholiques qui a soutenu personnellement Colón et financé son premier voyage.
Cristobal Colón n’a jamais voulu donner son origine réelle et en a toujours fait un mystère. Pourquoi ? Probablement parce qu’il était lui-même un juif converti, un xuete et qu’il voulait être particulièrement discret à ce sujet pour ne pas compromettre sa relation avec les rois Catholiques.
Je citerais également une femme, La Gran Cristiana, Doña Catalina Zaforteza y de Togores. Elle fut très engagée dans la cause Carliste, c’est-à-dire le monde conservateur majorquin. Durant la 3º guerre carliste, elle est bannie de Majorque et se réfugie à Montpellier où elle mourra en 1912 sans jamais revenir sur son île.
On peut ne pas partager ses opinions, mais c’était une femme de caractère, instruite, entreprenante et très populaire pour sa générosité. C’est dans sa demeure que se trouve le musée de Majorque dont je t’ai parlé.
N’oublions pas non plus Santa Catalina Tomas qui fut la première sainte d’origine majorquine ou Dona Beatríu de Pinós grande admiratrice et divulgatrice du Llu-lisme (Tout ce qui concerne Ramon Llull)
Concernant la culture locale, quelles seraient tes recommandations ?
Il y en a pour tous les goûts, musique, théâtre, galeries d’arts, Majorque est riche en évènements culturels et je reçois de nombreuses invitations, mais je suis un vieil homme de 84 ans et je préfère, surtout en cette année si particulière, rester un peu plus chez moi !
Quels sont tes lieux préférés à Majorque ?
Quand je reçois des amis de “fora” (dehors), j’aime les emmener à 3 endroits en particulier :
la cathédrale, le château de Bellver et la Foradada où se trouve Son Marroig.

Son Marroig est une des fincas de l’archiduc Luis Salvador. En s’installant à Majorque, il a participé à sauver l’île, principalement la Côte Nord en rachetant de nombreuses possessions et en les remettant sur pied tout en préservant leur personnalité.
Où faire une belle balade à Majorque ?
Sans hésiter dans la Possessio d’Alfabiá aux pieds de la Serra de Tramuntana. Ses jardins sont un exemple de l’amour des paysans majorquins pour leur terre.

Cela me rappelle une anecdote personnelle: un jour j’ai vu mon jardinier agenouillé devant un oranger. il ne bougeait pas depuis quelques minutes et intrigué je suis sorti dans le jardin pour lui demander ce qu’il observait avec autant de concentration.
Et très sérieusement il m’a répondu “ je regarde l’oranger pousser “. Ce paysan imperturbable, dévoué à la terre symbolise pour moi l’héritage du monde islamique qui vouait un véritable culte à la nature. Ce sont les musulmans qui ont construit tout le système d’arrosage dans les terres montagneuses.
Et pour un déjeuner où aimes-tu aller ?
J’aime beaucoup les restaurants traditionnels majorquins, Je trouve que la cuisine majorquine a sa propre personnalité. J’aime le restaurant de la Foradada et celui de l’ermita de la Victoria, entre les 2 baies de Pollença et d’Alcúdia où la vue est aussi impressionnante en hiver qu’en été.
Et à Palma, je ne boude jamais le plaisir d’un chocolat chaud à Can Joan de S’aigo !
Des produits locaux que tu apprécies particulièrement ?
Si les “sopas mallorquinas” sont mes préférées, la soubressade et l’ensaimada sont indéniablement les symboles de Majorque.
Lors de l’un de mes voyages en Argentine à Santa Fe où mes grands-parents s’étaient rendus à la fin du XIXº siècle, je me souviens avoir vu dans une des rues principales, une boulangerie majorquine où trônaient dans la vitrine des ensaimadas, coca roig et empanadas ! Dommage que le goût ne soit jamais aussi bon qu’à Majorque !!!
Román, pour terminer, comment penses-tu que l’image de Majorque pourrait être améliorée ?
La promotion du tourisme culturel est plus que nécessaire.
Le problème est que même nous, majorquins, ne sommes pas capables d’apprécier notre histoire et notre culture à leur juste valeur. Et si nous n’apprécions pas notre propre culture, comment allons-nous susciter cet intérêt pour les autres ?
Arrivée à Palma en 1986 pour un court séjour, j’ai rapidement réalisé que j’avais enfin trouvé l’endroit idéal. Omniprésence de la mer, douceur de vivre et une petite librairie franco-anglaise, Book-Inn, où durant dix ans j’ai pu partager ma passion pour la lecture avec les nombreux majorquins férus de culture française. Titulaire d’un diplôme d’état de psychomotricienne, j’ai collaboré en tant que bénévole avec le centre ASPACE, parcouru l’île pendant 3 ans pour une agence de location saisonnière, donné des cours de français à l’Instituto Lluliano.
Comme André Brink, je pense qu’il n’existe que deux espèces de folie contre lesquelles on doit se protéger. L’une est la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire et l’autre est celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire.