Les majorquins qui font Majorque : Toni Bennássar Roig.
Passionné de vin et Président de la DOP « Plá i LLevant » et Ví de la Terra Mallorca

Majorque est reconnue pour son merveilleux soleil, ses criques, ses paysages spectaculaires, sa gastronomie délicieuse et un patrimoine historique et artistique enviable, mais elle est également caractérisée par sa tradition viticole.
Les vins de Majorque sont l’un des grands attraits souvent méconnus de l’île qui bénéficie d’une situation géographique et d’un climat propice à la production de vin de grande qualité.
Pour notre nouvelle rubrique, nous avons donc rencontré Antoni Bennàssar Roig, Président de la DO Plá i LLevant et Ví de la Terra Mallorca, un passionné passionnant, un érudit francophile qui aime Brassens, Brel ou Paul Eluard et nous a révélé quelques-uns des secrets des vins majorquins.
Qui es-tu Antoni et comment est né ton amour du vin ?
Je suis avant tout enseignant, docteur en biologie de l’Université des Îles Baléares (UIB) et plus particulièrement dans le domaine de la physiologie végétale, la science qui étudie et cherche à percer les secrets de la vie chez les plantes.
Je ne suis pas né dans un domaine viticole ni dans une famille passionnée par le vin et pourtant on peut dire que je suis tombé dedans quand j’étais petit… Car je suis de Felanitx, ce qui implique une relation directe avec le vin, car ce village rural au sud-est de l’île est situé dans la région viticole du Plá y Llevant !
A l’époque le vin se diluait avec l’eau des siphons et dès 10 ans les enfants en buvaient quotidiennement ce qui aujourd’hui peut nous sembler inconcevable et même scandaleux, mais j’insiste il y avait beaucoup d’eau gazeuze dans mon vin…et donc très peu d’alcool finalement.
J’ai donc toujours bu du vin mais depuis bien longtemps il n’y a plus d’eau dedans ! Il y a 12 ans des amis du monde viticole m’ont sollicité pour devenir le Président de la DOP Plá i Llevant, car l’appellation avait besoin d’un représentant qui ne soit pas viticulteur pour être totalement indépendant des différentes bodegas.

Depuis 2 ans, le monde du vin à Majorque a évolué et il nous a été confié la constitution du comité régulateur du Vi de la Terra Mallorca, dont je suis également Président.
Peux-tu expliquer à nos lecteurs les différences entre les 2 appellations ?
Ce sont 2 concepts vraiment différents, l’idée de la DOP (Dénomination d’Origine Protégée) est française et la France est très stricte et exigeante sur l’appellation qui concerne généralement des régions peu étendues, rien que pour la Bourgogne par exemple, il y a je pense, 54 appellations.
L’idée de Dénomination d’Origine est que le type de vin produit est lié au terroir constitué par la nature du sol, le climat, les variétés cultivées, la vigne et l’activité humaine et tous ces éléments réunis donne un vin spécifique, une dénomination, à Majorque il y en a 2 : le Plá i Llevant et Binissalem.
Vi de la Terra est un concept différent, une appellation IGP : Indication Géographique Protégée qui fait référence à une zone géographique où historiquement le vin a toujours été élaboré avec une réputation de qualité. Ce type d’appellation est centrée sur la zone géographique dans notre cas Majorque.

L’appellation Plá i Llevant regroupe donc 19 municipalités du centre et de la côte Est de l’île tandis que Vi de la Terra Mallorca concerne toute l’île.
La DOP Plá i Llevant réunit 14 bodegas, celle de Binissalem 11 et Vi de la Terra en compte 71 actuellement.
Peux-tu nous raconter l’histoire du vin à Majorque ?
La culture de la vigne commence sous la domination romaine établie à partir de l’an 123 av. J-C, c’est Cecilio Metelo surnommé le « Balearico » qui conquiert l’île alors occupée par les phéniciens, mais très convoitée par Rome pour sa situation stratégique au cœur de la Méditerranée.
Les épaves des nombreux bateaux chavirés au large de Majorque sont le témoignage de son important passé commercial et les amphores retrouvées au fond des cales révèlent encore des traces de l’huile ou du vin qu’elles contenaient.
Les romains sont vaincus par les vandales arrivés du nord de l’Europe en 450 apr J-C ensuite ce sont les maures qui s’emparent de l’île au Xème siècle, ils resteront jusqu’à la conquête catalane par Jaume I en 1229.
À travers les siècles avec des hauts et des bas, la viticulture a toujours subsisté sur l’île tout comme la culture des olives et du blé, qui constituaient les bases de l’alimentation méditerranéenne : l’huile, le pain et le vin.

Souvent le malheur des uns fait le bonheur des autres, la culture de la vigne et la production de vin ont connu un essor très important au XIXème siècle quand le phylloxéra a détruit les vignobles français. La France doit alors importer son vin et achète de grandes quantités sur la péninsule mais surtout à Majorque.
L’exportation et le transport s’organisent avec grand succès à partir surtout des ports de Porto Colom, d’Alcúdia et de Palma principalement vers le port de Sète. Cependant les vignes françaises se rétablissent et la France impose à nouveau des droits d’importation aux vins majorquins, puis le phylloxéra attaque les vignes de l’île en 1891.
Près de 95% des exportations de vins sont alors perdues et débute une crise économique importante pour la production viticole.
Au début du XXème siècle, les vignobles se remettent et l’intérêt pour le vin majorquin subsiste, la preuve la première « station » œnologique est construite à Felanitx en 1913 par Antoni Ballester un ingénieur catalan, afin d’étudier la vigne, de former les viticulteurs, de divulguer des informations au grand public…
Ensuite est construit la bodega coopérative de Felanitx, l’union des viticulteurs qui produisaient une quantité de vin supérieure à la quantité produite aujourd’hui par l’ensemble des 96 bodegas actuelles !

A l’époque, on disait que le vin se « mangeait » car il était consommé principalement pour l’apport calorique important qu’il fournissait aux paysans dont le travail physique quotidien était très dur,
Le grand changement a lieu au début des années 80 quand 2 courants opposés s’installent. D’un côté l’Union Européenne attribue des subventions pour l’arrachage des vignes de mauvaise qualité et de l’autre commence la recherche d’une production de vins de qualité.
Les viticulteurs majorquins commencent à importer des variétés françaises comme le cabernet sauvignon, le merlot, le chardonnay etc. mais très vite, ils prennent conscience qu’ils doivent se différencier sur le marché et reviennent aux variétés autochtones ancestrales comme le Manto Negro, Callet, Prensal Blanc, Giró Ros…
Aujourd’hui avec l’augmentation de la demande, la culture des variétés autochtones se développe de plus en plus.
Quels sont les marchés actuels pour les vins majorquins ?
Le premier marché est le touristique : les grands consommateurs de vins majorquins sont les étrangers qui nous visitent et le constat est clair cette année plus que jamais avec la pandémie, les ventes des bodegas se sont écroulées.
L’exportation est limitée à 15% dont 95% pour Allemagne, le reste se répartit entre la Suisse, la Belgique, les Pays Scandinaves…mais la volonté est clairement de développer de nouveaux marchés.
Les majorquins ne consomment pas assez de leur propre vin car généralement ils le trouvent cher car ils le comparent aux vins de la Rioja par exemple. Cependant il faut tenir compte qu’il n’y a que 100 bodegas sur l’île et beaucoup d’entre elles ont une petite production.
Dès lors pour se positionner sur le marché, elles sont obligées de produire des vins de qualité et donc d’investir.
Le coût de production est également plus élevé car ce n’est pas pareil de vendanger à la main en respectant la faune et la flore que de le faire avec des machines qui endommagent l’écosystème sur leur passage, tout cela se répercute sur le prix de vente.

Pour vous donner un exemple, le prix d’un kilo de raisin de qualité supérieure sur la péninsule est de maximum 60 cents, quand à Majorque, le raisin de qualité identique est à plus de 1€ et en France, il coûte entre 2 et 3€.
Il faut savoir aussi, que les bodegas majorquines n’ont jamais fait pression sur les viticulteurs pour qu’ils produisent à moindre coût, ici on privilégie heureusement la qualité à la quantité !
Que dirais-tu à nos lecteurs avant une dégustation de vins insulaires ?
Je dirais simplement que chaque région produit son vin, que le vin de Majorque est de qualité et qu’il est différent de ce qu’ils connaissent.
Qu’ils soient attentifs et curieux car même les variétés de raisins importées de France ont évolué avec le « terroir » de l’île et que cela vaut vraiment la peine de goûter, de découvrir et de comparer.
Je suis née entre 2 cultures radicalement différentes qui m’apportent une vraie richesse, grâce à une maman belge voyageuse qui découvre l’île dans les années 60 et rencontre un charmant majorquin, l’amour de sa vie. Toutes les vacances de mon enfance ont le goût salé de la mer, le chant des grillons dans les pinèdes et le bonheur de retrouver ma tatita (grand-mère) les cousins et les cousines dans les grandes fêtes de San Jaime.
Mon métier de Responsable Communication et Evénements, d’abord dans une radio belge et ensuite pour Mons, ma belle ville culturelle et chargée d’histoire, m’a toujours passionné. Mais le gris du ciel devenait de plus en plus pesant et comme une évidence, je savais où trouver la lumière ! Depuis un an j’ai posé mes valises… je retrouve mes racines et vis enfin mon grand amour et ma passion pour Majorque !